09 décembre, 2006

PINOCHET ÉCHAPPE DÉFINITIVEMENT À LA JUSTICE



Augusto Pinochet est mort dimanche 10 décembre 2006, à tout juste 91 ans, sans avoir jamais eu à répondre des crimes commis au Chili pendant les 17 ans de sa dictature (1973-1990): plus de 3.000 assassinats politiques et un millier de disparitions. Malgré les centaines de plaintes déposées contre lui, il n'a jamais été traduit en justice car sa santé, jugée fragile, lui a épargné tous les procès.Le général Pinochet est arrivé au pouvoir lors d'un coup d'Etat sanglant, le 11 septembre 1973. Il est alors commandant en chef de l'armée chilienne. Tandis que des avions bombardent la Moneda, le palais présidentiel, il exige la reddition du président démocratiquement élu, Salvador Allende. Le chef d'Etat marxiste préfère se suicider avec un fusil automatique que lui a offert Fidel Castro. Des milliers de ses partisans sont arrêtés.
Certains militants de gauche sont emprisonnés à Santiago, dans le Stade national, qui devient un centre de torture. D'autres sont victimes de la "caravane de la mort", escadron chargé de liquider les opposants au régime. Des fosses communes seront découvertes dans le désert d'Atacama (nord) et dans les villes de La Serena et de Cauquenes.

Augusto Pinochet assure ne vouloir rester au pouvoir "qu'aussi longtemps que les circonstances l'exigent" pour protéger le Chili du communisme. Cependant, une fois à la présidence, il explique qu'il a "des objectifs, et non des délais". Il dissout le Congrès et interdit toute activité politique.

Il ne fait pas de mystère sur l'identité de celui qui tire les ficelles. "Pas une feuille d'arbre ne bouge dans ce pays sans que ce soit moi qui la bouge", déclare un jour le militaire moustachu, tout en affirmant par ailleurs que les meurtres de prisonniers politiques sont l'oeuvre de ses subordonnés.

En mai 2005, Manuel Contreras, qui dirigeait sa police secrète (DINA), a affirmé que la responsabilité incombait bien à Augusto Pinochet. Le général Contreras, qui purge une peine de 12 ans de prison pour la disparition d'un jeune dissident en 1975, a fourni à la Cour suprême chilienne une liste décrivant le sort de plus de 500 opposants arrêtés par la DINA. La plupart ont été tués, leurs corps jetés à la mer.

D'autres victimes de la répression étaient cependant enterrées. Après la découverte de cercueils qui contenaient chacun deux cadavres, Augusto Pinochet y a vu "une bonne mesure pour économiser de la place dans les cimetières".

Au total, en 17 ans, au moins 3.197 personnes ont été tuées pour des motifs politiques, plus de 1.000 ont disparu, et des milliers d'autres ont été arrêtées, torturées ou contraintes à l'exil, selon un rapport officiel réalisé récemment.

Avec d'autres dictatures d'Amérique du Sud, le Chili a mené l'opération "Condor" pour éliminer les opposants de gauche à l'étranger.

Le général Pinochet a estimé à plusieurs reprises qu'il n'avait pas à demander pardon. Il s'attribuait même en partie le mérite de la chute du communisme. "Je me vois comme un ange bienveillant", déclarait-il en 2004 à une chaîne de télévision hispanophone de Miami.
Né à Valparaiso en 1915, ce fils d'un employé des douanes a mené une politique économique radicalement libérale: économie de marché, gros emprunts à l'étranger et peso surévalué. Après avoir connu au début des années 1980 un taux de chômage sans précédent, la situation s'est améliorée à partir de la deuxième moitié de cette décennie.

Durant cette période, plusieurs régimes militaires d'Amérique du Sud commencent à céder à la place au pouvoir civil.

Le 5 octobre 1988, Augusto Pinochet perd un référendum qui proposait de proroger sa présidence jusqu'en 1997. Il est contraint d'organiser une élection, remportée par Patricio Aylwin, candidat d'une coalition de centre-gauche. Il transmet le pouvoir à son successeur en mars 1990 mais reste commandant en chef de l'armée pendant huit ans.

Ensuite, il devient sénateur à vie, comme le prévoit la Constitution qu'il a fait modifier. Cette fonction lui garantit une immunité, levée depuis à plusieurs reprises. Il n'est pourtant jamais jugé. Et ce, pour raisons de santé.

En 1998, Augusto Pinochet subit une opération du dos à Londres, où il est assigné à résidence après la demande d'extradition formulée par le juge espagnol Baltasar Garzon. Mais les autorités britanniques le considèrent trop faible pour supporter un procès et le laissent regagner le Chili.

Là, plus de 200 plaintes sont déposées contre lui. Mais les médecins diagnostiquent chez lui une sénilité. En 2001 et en 2004, il est exonéré de procès pour raisons médicales.

Augusto Pinochet se fait implanter un pacemaker en 1992. Il souffre également de diabète et d'arthrite. Il a eu plusieurs infarctus légers avant d'être victime d'une grave crise cardiaque et de mourir de complications cardiaques dimanche 10 décembre 2006, selon l'hôpital militaire de Santiago.

Depuis 2004, il était poursuivi pour fraude fiscale. Les tribunaux chiliens lui réclamaient pour près de dix millions de dollars d'arriérés d'impôts. Les enquêteurs ont en effet découvert que l'ex-dictateur dissimulait quelque 17 millions de dollars sur des comptes à l'étranger.

Beaucoup de ses anciens alliés qui l'avaient soutenu face aux accusations de violations des droits de l'Homme ont alors pris leurs distances. "Il nous doit une explication", exigeait ainsi le général à la retraite Rafael Villarroel, qui avait été l'un de ses proches conseillers. AP