25 décembre, 2007

PLAN CONDOR : LA JUSTICE ITALIENNE ÉMET 140 MANDATS D'ARRÊT

DES MILLIERS D'URUGAYENS DÉFILENT DANS LES RUES DE MONTEVIDEO, EN MAI 2006, POUR UNE «MARCHE SILIENCIEUSE» EN MÉMOIRE DES DISPARUS DE LA PÉRIODE DICTATORIALE. (PHOTO AFP)


La justice italienne lance une offensive contre les responsables latino-américains ayant participé au «Plan Condor ». Ce lundi, des mandats d’arrêts ont été émis contre 140 personnes, soupçonnées d’être impliquées dans l’assassinat de 25 Italiens au cours des années 1970 et 80. Le Garde des Sceaux italien devrait lancer dans les prochains jours des procédures de recherche et d'extradition des suspects. Ceux-ci sont accusés de « massacre, enlèvement ou homicide multiple aggravé ». Retour sur l’opération Condor, qui a instauré durant des années la terreur au nom de l’Etat en Amérique latine.

En décembre 1992, Martin Almada fait une incroyable découverte. Dans un commissariat de police, situé dans la ville de Lambaré au Paraguay, ce professeur en droit, spécialiste des droits de l’homme, tombe par hasard sur des documents. Rapports détaillés de tortures, passeports d’opposants disparus, lettres interceptées – une collection sinistre, comprenant plusieurs tonnes de papier, qui témoigne de l’une des guerres les plus sales menées par les dictatures latino-américaines contre leurs propres populations : l’opération Condor.
MARTIN ALMADA

Le 25 novembre 1975 à Santiago du Chili, se déroule une entrevue secrète. Y sont présents les chefs des services de renseignement d’Argentine, d’Uruguay, du Paraguay, de la Bolivie et du Brésil. C’est Manuel Contreras, fondateur de la police secrète chilienne du général Pinochet, qui les a convoqués pour leur faire part d’un plan « contre-terroriste ». Celui-ci vise à pourchasser et éliminer les « guérilleros terroristes gauchistes » par des actions communes des services secrets au nom de la dite « doctrine de sécurité nationale ». Au final, cette campagne, baptisée « opération Condor », touchera n’importe quel opposant aux régimes en place, ainsi que sa famille et ses proches.

Les méthodes de la terreur


En 1976 s’ouvre alors une véritable chasse à l’homme. Opposants de gauche, prêtres, défenseurs des droits de l’homme – tous deviennent la cible des agents secrets envoyés par les Etats qui participent au plan Condor. De véritables escadrons de la mort traquent leurs victimes jusqu’en Europe et aux Etats-Unis, où elles sont enlevées, torturées et assassinées. Un ancien ministre de l’ex-président chilien Allende, Orlando Letelier, est ainsi tué en plein centre de Washington par un attentat à la bombe en septembre 1976.


C’est une machine de répression qui se met en place, parfaitement orchestrée entre les différents Etats. Les exécuteurs de l’opération varient par ailleurs habilement entre différentes techniques pour semer la terreur parmi la population civile, allant de la noyade jusqu’à la transmission d’enregistrements sonores de cris de proches torturés. Quelque cinq cents enfants, pour la plus part nés en captivité, sont enlevés à leurs parents. Ils sont confiés ensuite à des couples stériles, politiquement proches du pouvoir.


Aujourd’hui encore il est difficile de chiffrer les victimes de l’opération Condor. Plusieurs centaines ont été identifiées. Mais selon des organisations de droits de l’homme, le bilan sinistre de cette campagne de persécution s’élèverait à 50 000 morts, 35 000 disparus et plus de 400 000 détenus.


L’implication de Washington


« L’opération Condor est un effort de coopération dans le domaine des renseignements et de la sécurité entre de nombreux pays du cône sud pour combattre le terrorisme et la subversion », indique laconiquement un rapport de la CIA, daté du 22 août 1978. Des documents secrets de l’agence américaine de renseignement concernant le plan Condor ont été déclassifiés en 2000. Ces dossiers ont affirmé ce que les historiens soupçonnaient depuis longtemps : la CIA et le FBI ont été impliqués dans l’opération en Amérique latine. Selon les documents, les deux services secrets américains ont coopéré étroitement avec les régimes militaires sur place et leur ont fourni du matériel technique pour échanger des informations.


Le New York Times publie le 6 mars 2001 un câble de la CIA daté de 1978 et envoyé par l'ambassadeur américain au Paraguay, Robert White. Cette note révèle l'existence d'une base américaine de communication installée au Panama, qui doit coordonner les échanges d'informations entre les membres du plan Condor. Par ailleurs, un véritable programme de formation et d’entraînement pour apprendre aux Sud-Américains tous ce qu’ils devraient savoir sur l’espionnage, la subversion et le terrorisme est également mis en place.


Les documents de la CIA laissent aussi penser que Henry Kissinger, à l’époque ministre des Affaires étrangères sous la présidence Nixon, était au courant des crimes commis dans le cadre du plan Condor. Depuis des années, la justice argentine ainsi que celle du Chili, tente désespérément d’obtenir de Washington le témoignage de l’ancien homme fort de la diplomatie américaine dans le dossier de l’opération Condor.


La poursuite des responsables


Quand dans les années 1980 la plupart des pays d’Amérique latine retournent à la démocratie, les anciens militaires tentent de se protéger contre d’éventuelles poursuites en justice. Ils font alors voter des lois d’amnistie. Il a fallu attendre le mois de décembre 2004 pour que l’amnistie d’Augusto Pinochet soit levée. Mais les nombreuses poursuites contre lui se sont éteintes avec sa mort, le 10 décembre 2006.


Malgré ce rendez-vous raté pour les nombreuses victimes du régime Pinochet, les organisateurs du plan Condor sont aujourd’hui rattrapés et poursuivis par la justice de leur pays. Sur la liste des 140 mandats d’arrêts du juge italien Luisann Figliola, publiée ce lundi, figurent l'ex-dictateur argentin Jorge Rafael Videla, l'amiral Emilio Eduardo Massera, ancien responsable de la marine argentine et Jorge Maria Bordaberry, ex-chef de la junte militaire en Uruguay.