12 septembre, 2007

L'autre 11 Septembre, au Chili, trente-quatre ans après


(De Santiago) Le 11 Septembre est un jour à part au Chili. Il y a 34 ans, en 1973, le coup d'Etat mené par l'armée, avec à sa tête le général Augusto Pinochet, aplatissait sous les bombes et les coups de canons le rêve d'un peuple d'une société plus juste et solidaire.

Salvador Allende, Président démocratiquement élu, luttait jusqu'aux derniers instants dans le palais présidentiel en flammes, avant de se donner la mort dans son bureau. Fidèle à sa promesse de ne sortir de la Moneda que "les pieds devants". Ce jour de deuil marque le début d'une dictature sanglante qui durera 17 ans, au cours de laquelle plus de 3 000 personnes mourront ou disparaîtront, et 30 000 autres seront violemment torturés. Leur crime? Etre de gauche.

Cette année pourtant, et pour la première fois depuis le retour de la démocratie en 1990, les commémorations sonnent creux. Car le gouvernement Bachelet a interdit les manifestations devant la Moneda, de peur de voir se répéter les débordements observés l'an passé, lorsque des jeunes cagoulés avaient jeté sur le palais présidentiel un cocktail Molotov. Selon le ministère de l'Intérieur, seuls des "dirigeants et des militants politiques identifiés" pouvaient se rendre devant la statue de Salvador Allende face au palais présidentiel, et pas le peuple chilien, donc. Le centre de la ville, en "état de siège", était "protégé" par un impressionnant dispositif policier, et interdit à la circulation.

"Une honte!" pour Paz Rojas, présidente de l'une des principales association des droits de l'Homme au Chili, qui "ne comprend pas. 34 ans après, nous sommes encore réprimés, et de façon très brutale. Les carabiniers agissent avec la même violence et la même arrogance que sous Pinochet". Pour elle, l'explication est toute trouvée: "L'impunité a permis que ne changent ni la conscience, ni les comportements policiers".

Marcia Tambutti, petite fille de Salvador Allende, estime pour sa part que le Chili est une "démocratie limitée, quadrillée", et regrette autant "l'interdiction de manifester librement que les violences des casseurs qui infiltrent les cortèges, et empêchent de fait les marches pacifiques". "Pour tout cela, le Chili est un pays absurde", ajoute un autre membre de la famille Allende.

Ceux qui ont pu passer les barrages de police et accéder jusqu'au lieu des célébrations chantent en coeur "Se siente, se siente, Allende esta presente!" (Ca se sent, Allende est présent!), et raillent la Présidente Michelle Bachelet: "Aprende, Michelle, la dignidad de Allende!" (Apprends, Michelle, la dignité de Allende). Après avoir déposé une gerbe de fleurs, chaque parti fait son discours. L'émotion est grande, les yeux pleins de larmes, les gorges serrées. "Jamais la brutalité et la force ne nous empêcheront de rendre hommage à Allende" déclare depuis la tribune improvisée Camilo Escalona, président du PS chilien.

Car c'est bien de cela qu'il s'agit. La plupart des "anciens", ceux qui ont connu les années noires du régime de Pinochet, ne comprennent pas qu'on les empêche de se recueillir devant le numéro 80 de la rue Morandé, porte par laquelle sont sortis les derniers résistants de la Moneda, ainsi que le corps sans vie du Président Allende. S'il faut reconnaître le travail important de Michelle Bachelet en matière de droits de l'Homme et de travail de mémoire, si sa volonté personnelle ne peut être remise en cause (elle-même a connu les geôles de Pinochet), l'incompréhension est grande de voir interdite une marche pacifique commémorant la mort de Salvador Allende, et par extension celle des victimes de la dictature.

A quelques kilomètres de là, dans le cimetière général, de nombreuses personnes viennent déposer une fleur et se recueillir devant l'impressionnant mausolée de Salvador Allende. Certains viennent tous les ans, en famille ou avec des amis. Tous le font avec la même volonté de ne pas laisser tomber dans l'oubli celui qui repésente aujourd'hui comme hier l'exemple d'un politique “digne, conséquent, moral”, qui “a réalisé notre idéal”, explique Marco, 20 ans.

Juan, de trois ans son aîné, militant de gauche mais affilié à aucun parti, rappelle "qu"il faut avoir de la mémoire, se souvenir de tous ceux qui sont tombés pendant la dictature: Allende et tous les autres". Il regrette que le gouvernement, en n'autorisant pas de marche globale, "cherche à diviser le peuple". "Ce pays est une merde, livré au libéralisme sauvage, qui va bien macro économiquement, mais qui micro économiquement va très mal" tance-t-il. Avant d'ajouter dans un français parfait: "Jusqu'ici tout va bien. Mais ce qui compte, ce n'est pas la chute, c'est l'atterrissage."