07 août, 2006

LE SÉNAT CHILIEN CONDAMNE CUBA


La plus fameuse prison cubaine
«La Cuba de Castro ! Je me demande bien quelle sorte de régime peut encore se sentir obligé d'incarcérer des prisonniers politiques ?» «Je ne sais pas. Demande aux gardiens de Guantanamo Bay...» Dessin de Martyn Turner

Le 10 juillet 2006 Bush a adopté « des mesures supplémentaires » à l’encontre de Cuba, contenues dans le rapport de 93 pages qui fut préparé par la Commission d'Assistance à une Cuba Libre, présidée par la Secrétaire d'Etat Condoleezza Rice et le Secrétaire du Commerce Carlos Gutierrez. Au moins 80 millions de dollars sont alloués au financement d’actions en vue de déstabiliser le gouvernement cubain dont 15 sont destinés à rallier la communauté internationale au plan d'occupation de Cuba (Sénat chilien en session ordinaire a approuvé un projet d’accord dans lequel il sollicite la Présidente de la République pour qu’elle exige de son Ministre des Relations Extérieures, Alejandro Foxley, qu’il «condamne et demande au gouvernement de Cuba de mettre fin aux détentions pour des motifs idéologiques»(2).
L’initiative fut présentée par un groupe de 10 sénateurs de droite (4 Union Démocrate Indépendante -UDI-, 6 Rénovation Nationale –RN-) et un démocrate-chrétien (PDC) (2). La motion fut finalement adoptée par 19 sénateurs de droite et 5 de la Concertation.

Dans les considérations du projet d’accord, les auteurs rappellent « qu’en mars 2003 les autorités de ce pays [Cuba] ont condamné 75 dissidents à des peines de prison fluctuant entre 6 et 28 ans » (2).

L’inquiétude manifestée par les Honorables Sénateurs est étonnante et, pour le moins sélective. En effet, ces parlementaires se sont émus du sort de prisonniers sur l’île de Cuba, sans mentionner celui des détenus aux mains de l’administration US dans l’enclave de Guantanamo.

Par ailleurs les mêmes Honorables Sénateurs se déclarent soucieux pour les « dissidents » cubains subissant « maltraitance et mauvaises conditions de vie dans les prisons ». Cependant les familles de ces détenus n’ont jamais eu à déplorer aucune mort par suicide comme ce fut le cas à Guantanamo, ce qui permet d’imaginer, en s’appuyant sur de nombreux témoignages et reportages, l’enfer que ceux-ci continuent d’endurer (4)-(4bis). Il est vrai que les responsables nord-américains ont accusé les auteurs de ces suicides de commettre « un acte de guerre asymétrique ». L’Honorable Sénat chilien a sans doute bien pris note de ces explications (5).



Ce qu’en revanche il n’a pas du tout vu, su ou entendu, ce sont les nombreux témoignages et multiples preuves fournis contre les « dissidents » cubains lors des procès – auxquels n’ont toujours pas eu droit, après plusieurs années de détention, les prisonniers de Guantanamo-, qui attestent que les condamnés étaient appointés par l’administration américaine via la section d’intérêts américains à la Havane (SINA), dont le but était de déstabiliser le gouvernement en place (6).

Cette étonnante capacité à sélectionner certains faits dans la réalité, en fonction de certains intérêts, peut se comprendre aisément si l’on se rappelle que les actuels sénateurs de la droite chilienne n’ont jamais émis la moindre protestation, ni le moindre regret pendant les sombres années de la dictature pinochetiste, durant laquelle pratiquement aucun droit de l’Homme ne fut respecté. Et pourtant, aux milliers de morts par exécution sans jugement ou aux disparus, il faut ajouter les dizaines de milliers d’emprisonnés et torturés (7).

Plus encore, l’enquête de la commission Church du Sénat nord-américain et les documents déclassifiés à la fin de l’administration Clinton montrent à quel point les autorités de ce pays sont intervenues dans l’organisation du coup d’Etat contre Allende (8). En effet, les deniers investis dans les partis politiques chiliens (tant de droite que démocrate chrétien depuis 1963) ont permis aux USA d’imposer au Chili le système institutionnel toujours en vigueur qui favorise le pillage des ressources par les multinationales.

La logique retrouve donc ses droits. Les Sénateurs qui ont voté le projet contre Cuba ne peuvent que soutenir des salariés de l’empire, car il y va de l’image de leur propre passé et de leur survie politique.

Aucun responsable politique de droite, ni aucun responsable démocrate-chrétien, n’a jamais admis, ni regretté, ni encore moins dénoncé cette ingérence dans les affaires internes chiliennes par le biais de leurs propres partis. Plus encore, à notre connaissance, aucun d’entre eux n’a jamais démissionné d’aucune de ces organisations, pour montrer son désaccord envers de tels agissements qui, comme à Cuba aujourd’hui, s’apparentent plus au mercenariat qu’à la lutte politique démocratique.

Il serait presque vain de se demander pourquoi l’Honorable Sénat chilien n’a pas daigné s’intéresser au sort des Cinq cubains anti-terroristes emprisonnés aux USA, malgré la décision de la cour d’Atlanta elle-même sur l’anormalité de leurs condamnations.

Il reste toutefois une question. Eu égard à la promptitude avec laquelle l’Honorable Sénat chilien a adopté le projet de condamnation de Cuba (suite à la publication des mesures supplémentaires contre Cuba par la Commission d’Assistance et l’inclusion dans ce rapport d’une annexe classifiée secrète), nous sommes autorisés à nous poser la question suivante : dans le cadre d’une future enquête parlementaire nord-américaine ou d’une déclassification de documents, pourrions-nous savoir si parmi les partis politiques, qui ont condamné Cuba aujourd’hui, quelques-uns ont ou non bénéficié de mannes octroyées par des organisations officielles nord-américaines ?

Le démocrate chrétien Claudio Huepe, ambassadeur du Chili dans le Venezuela de Chavez, et qui était en exil pendant la période où le COPEI (démocrate chrétien) gouvernait, conseille à ses camarades chiliens de se préparer aux conséquences de certains agissements politiques (« poner sus barbas en remojo»). En effet, personne n’est à l’abri. « Une erreur a dû être commise », dit-il, puisque le COPEI ne représente plus aujourd’hui que 5 à 10% de l’électorat. Au Chili il pourrait arriver la même chose qu’au Venezuela. Le peuple chilien, au vu du lourd passé anti-démocratique du parti démocrate chrétien, finira, plus tôt que tard, pour paraphraser S. Allende, par lui présenter l’addition devant autant de forfaits (9).




J.C. Cartagena et Nadine Briatte


Notes :
(2)
(3)
(5) http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3222,36-782298@51-723001,0.html
(6) http://www.intal.be/fr/article.php?articleId=332&menuId=1
http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=854
http://www.granma.cu/frances/2004/mayo/vier7/20bruta-f.html
(7) Voir Rapports Rettig : http://web.amnesty.org/library/Index/FRAAMR220102004?open&of=FRA-CHL
et Valech : http://www.gobiernodechile.cl/comision_valech/index.asp
(8) http://pw1.netcom.com/~ncoic/cia_info.htm

(9) Journal La Segunda de Chile, le vendredi 20 juillet 2006.